J'ai mis du temps à écrire cet article. L'idée m'est venue quand une de mes stagiaires m'a demandé si je comptais toujours collaborer avec des mannequins noires.
Sur le coup j'ai bégayé car pour moi c'était évident, et surtout je m'étais rendue compte que j'avais raté mon recrutement…
Pendant une fraction de seconde je me suis interrogée sur sa question.
Était-elle mal à l'aise de promouvoir la femme noire dans la mode même si elle ne l'était pas ? Est-ce qu'elle m'aurait posé la même question si le casting n'était que blanc ? J'ai arrêté de trop réfléchir, et je lui ai répondu que oui c'était le but de la collection et surtout de l'entreprise; je pensais que le message était clair suite à nos échanges et son entretien...Malheureusement ça ne l'était pas.
J'ai toujours voulu créer une marque de vêtements, et l'idée m'est venue en 2011 pendant mon stage dans une agence de presse spécialisée dans la mode pour enfants à Barcelone (Coucou Lili).
Je profitais de mon temps libre pour dessiner des pièces (et beaucoup sortir). J'ai mis du temps à passer de l'idée au projet, j'étais encore jeune (23 ans) et j'avais besoin de plus d'expériences.
En 2011, le style n'était pas là mais on l'a travaillé
L'expérience, j'en ai eu des expériences...Chez l'annonceur ainsi qu'en freelance. Dans la mode pour homme, l'e-commerce, la parfumerie et surtout la bijouterie et la joaillerie.
C'est mon expérience dans ce secteur (et aussi la crise de la trentaine) qui m'a donné envie de me lancer.
J'avais un ras le bol de voir les mêmes visages dans les campagnes, marre d'être la seule représentation de la diversité au sein d'une équipe. Le pire était le choix des mannequins, je n'arrivais pas à me projeter. Créer des moodboards n'était plus passionnant, car la représentation de la beauté de la femme française contemporaine n'était pas ce que j'imaginais et surtout je ne m'y retrouvais pas.
Une autre de mes expériences en freelance juste après m'a beaucoup fait cogiter. La marque pour laquelle je travaillais voulait prendre un virage diversité dans le choix de ses modèles. Leur brief mannequins était des métisses aux cheveux bouclés, des modèles noires aux traits très fins que l'on peut trouver en Afrique de l'est, ou encore des modèles à la peau très foncées comme on peut trouver en Afrique de l'ouest.
Une nouvelle fois, je ne me retrouvais pas. J'ai donc commencé à vraiment développer ma collection fin 2018, tout a commencé dans mon salon à Aubervilliers avec Sophie, ma stagiaire styliste de l'époque qui m'a accompagnée sur toute la partie stylisme et modélisme.
J'ai fait un premier shoot en février 2019 avec mes pièces de recherche, et le choix de la mannequin fût crucial. J'avais plusieurs personnes en tête et finalement je suis partie sur un mannequin "neutre", type méditerranéen qui passe partout et peut plaire à tout le monde.
Le shoot était top, les photos aussi, mais malheureusement c'était trop éloigné de mon propos, de mon why de départ...Ces photos là ne me correspondaient pas et c'est là où toute la phase de profonde réflexion et de rebranding a commencé. (Merci Recore Agency)
Crédits photos : Kidhao.
Les mêmes produits et la même marque ;)
Le manque de diversité dans les campagnes fut ma première motivation. La deuxième motivation est venue plus tard, quand j'ai commencé mes rdv pour trouver une usine de production ainsi que mes fournisseurs.
Je m'en rappelle encore, j'avais passé toute la journée à Première Vision pour trouver des fournisseurs. J'ai échangé avec pas mal d'entreprises et plusieurs fois la même question revenait dès que je présentais mon projet de collection.
"Vous êtes l'assistante ou la créatrice ?" Au début je ne comprenais pas pourquoi, était-ce mon manque d'assurance ? Peut-être que je n'étais pas assez convaincante dans mes propos. C'est quand j'ai eu un premier rdv avec une usine de production et que la personne avec qui j'avais rendez-vous me dise "Oh je pensais avoir rdv avec la créatrice".
J'ai compris que ça n'allait pas le faire…Pour eux, ce n'était pas possible que je sois la personne avec qu'ils avaient échangé par mail (ça prouvait également que mon approche et mes dossiers faisaient très pro #excellence).
Et là, tout était devenu évident. Au-delà de la marque de vêtement, il fallait que je crée un espace pour des personnes, des femmes qui me ressemblent et les inclure dans mon projet d'entreprise. Créer une campagne uniquement composée de femmes noires et faire en sorte que ce soit normal pour une marque française de prêt-à-porter.
On m'a beaucoup dit de faire attention, à ne pas faire de communautarisme, de penser à mettre d'autres visages pour toucher plus de monde, de ne pas faire comme si on était pas aux Etats-Unis (celle-là elle me fait bien rire) ou encore qu'il n'était pas nécessaire d'en parler et laisser les images et les vêtements s'exprimer...Pour ne pas être cataloguée ou blacklistée par les médias et/ou l'industrie.
Crédits photo : Moïse Luzolo
Avec les événements de l'année dernière, le meurtre de George Floyd, la prise de conscience globale en soutien au mouvement Black Lives Matter; je pense qu'on ne peut plus faire semblant; mais au contraire en parler sans créer de conflit ou être mis dans des cases.
D'ailleurs, l'année dernière j'ai assisté au "Black In Fashion Town Hall: A Call To Action", les prémices du Black In Fashion Council créé par Lindsay People Wagner et Sandrine Charles, une session zoom avec plusieurs créatifs (la plupart américain) dans la mode et les industries créatives où nous échangions sur le thème de la diversité dans les campagnes et dans les équipe dirigeantes.
Il y a eu quelques parallèles avec la situation dans les pays européens où l'on retrouve les mêmes scénarios et cette session m'a encore donné plus envie d'aller plus loin dans ma démarche.
Je ne suis qu'au début de mon aventure (la collection est sortie il y a à peine trois mois) et je trouvais qu'il était nécessaire d'en parler dès le départ. Parler de diversité dans la mode n'est pas une trend, c'est malheureusement réel car certaines populations ne sont toujours pas représentées. Il y a cependant des nouveaux créateurs (la plupart issus de la diversité) qui contribuent à faire évoluer les consciences mais nous ne sommes qu'aux prémices…
Si vous souhaitez en lire d'avantage sur le sujet, récemment j'ai lu un article intéressant sur le site de Madame Figaro qui fait un état des lieux de la situation.
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